Qui est Nhu Xuan Hua, photographe de BTS et de la mémoire ?

SUCCESS STORY
Julie Hamaïde, KOÏ, 16 November 2022

Connue pour ses photos de mode, dont la couverture du Time avec BTS en 2018, la photographe Nhu Xuan Hua publie « Tropism », un album de famille réinventé. 

Nhu Xuan Hua a commencé la photographie au lycée, attirée par l’art depuis toujours grâce à son père, peintre d’origine vietnamienne.  À 24 ans, elle quitte la France, s’installe seule à Londres et se fait une place dans la photographie de mode. Elle shoote pour Gucci, Maison Margiela, Kenzo ou encore le Time. C’est d’ailleurs pour ce magazine qu’elle réalise la première photo de couverture avec les membres du groupe BTS présentés comme les « leaders de la prochaine génération ». Cet automne, elle publie son premier ouvrage « Tropism », entre bribes de souvenirs et mémoire floutée. Pour Koï, elle répond à sa toute première interview en français.

Comment s’est créé « Tropism » ? 
Ce projet est né en 2017. J’ai été invitée par le collectif italien Tutto Questo Sentire à Londres pour une résidence sur le déplacement. Je rentrais tout juste de mon deuxième voyage au Vietnam qui était pour moi une reconnexion à mes racines.

C’était seulement votre deuxième voyage au Vietnam ? 
Non, en fait j’y suis allée pour la première fois lorsque j’étais enfant, avec mes parents, puis une deuxième fois. Là, c’était le deuxième voyage en tant qu’adulte. J’utilise d’ailleurs souvent les termes « rentrer » ou « terre de mes ancêtres » pour parler du Vietnam. J’ai beaucoup de mal à trouver ma place dans la langue française qui n’a pas les mêmes nuances et significations que la langue anglaise avec laquelle je m’exprime depuis ces 10 dernières années. Je suis arrivée à Londres à 24 ans et j’y ai grandi en tant qu’adulte. J’ai appris à partager mes émotions en anglais.

Cette résidence est arrivée au bon moment. 
C’était une thématique parfaite pour moi car j’étais dans un processus de redécouverte de ma famille, de mes souvenirs et du déplacement du souvenir. Je demandais aux autres résidents de me raconter des souvenirs personnels basés sur des sons. Je suis rentrée chez moi et j’ai retrouvé toutes ces images d’archives de ma famille. Certaines photos me touchaient plus que d’autres et j’ai relié ce sentiment au travail de Nathalie Sarraute « Tropisme ». Ce livre m’a servi de base. J’ai choisi des photos universelles, avec des contextes comme Noël ou les fêtes de famille, qui parlent à tout le monde.

Pourquoi avoir flouté les visages ? 
J’ai fait le choix de ne pas mettre de texte dans le livre pour laisser place à l’interprétation des gens. Le public y voit des fantômes, moi je vois un mouvement invisible et permanent. J’interroge l’émotion que la photo me procure. J’ai sélectionné des zones que j’ai remplies à partir des éléments qui étaient autour, dans la photo. C’est une manière de reconstruire le souvenir.

« C’est notre devoir en tant qu’enfants issus de la diaspora de transmettre à notre tour. »


Quels ont été les retours du public ? 
Cette mémoire intime est finalement collective. Une personne est venue me voir et s’est mise à pleurer en réalisant qu’elle n’avait pas de photo de famille ou en tout cas qu’elle n’avait jamais pris le temps de les regarder, de les contempler. Ces albums sont des boîtes de Pandore qui contiennent des souvenirs précieux dont on se coupe parfois. Je voulais qu’elles soient transmises auprès des plus jeunes de ma famille. Nos parents n’avaient pas le temps ou n’avaient pas compris l’importance de cette transmission car ils avaient d’autres problèmes à gérer comme reconstruire une vie en France. C’est notre devoir en tant qu’enfants issus de la diaspora de ne pas perdre ces choses-là pour les transmettre à notre tour. Plus le temps passe et plus notre culture, l’histoire de notre famille, sont diluées. Il fallait avoir une base de données. C’est pour cela que je suis retournée au Vietnam, sur la tombe de ma grand-mère, que j’ai mis un repère sur Google Maps pour retrouver ces endroits qu’on ne pourra plus se transmettre à l’oral après quelques générations.  

« J’ai vécu comme une petite fille blanche pour me fondre dans la masse. »


Quel a été votre rapport à l’identité ? 
J’ai vécu comme une petite fille blanche pour me fondre dans la masse. Mon expérience à Londres a réveillé mon besoin d’embrasser mes racines car je suis arrivée dans une ville où la plupart des personnes viennent d’ailleurs et connaissent leurs histoires, pas seulement celle de leur famille mais aussi celle du pays dont elles sont originaires. Moi, je ne me posais jamais ces questions-là. J’ai toujours répondu à mes parents en français, je ne fêtais que le Nouvel An chinois… C’est à Londres que j’ai commencé à chercher des cours de vietnamien et c’est ainsi que j’ai rencontré d’autres jeunes d’origines asiatiques dont un ami qui m’a fait découvrir les soirées Eastern margins, réunissant des gens issus des diasporas d’Asie de l’Est et du Sud-Est à travers la musique. La première fois que j’ai mis les pieds dans ces soirées, c’était comme retourner au Vietnam. Je me suis sentie bien, entourée de gens qui pouvaient me comprendre.

« J’avais envie de les mettre en hauteur, de les regarder d’en bas. On voulait les prendre au sérieux, les voir bien habillés. »


Aujourd’hui vous êtes très connue pour vos photos de mode. Vous avez réalisé la première photo de couverture du Time avec le groupe BTS en octobre 2018. Comment cela s’est-il passé ? 

J’ai failli ne pas la faire car j’étais au Vietnam à ce moment-là et je ne connaissais pas ce groupe. Finalement, je me suis rendue à Los Angeles et j’ai commencé à me rendre compte de l’ampleur de l’évènement. Invitée au concert de BTS la veille, j’ai été fascinée par la passion du public pour ce boysband. Le lendemain, on a préparé le shooting au Ritz avec un étage privatisé juste pour nous. Chaque membre avait sa propre équipe. J’ai eu 15 minutes avec eux. Ils sont ultra sympas, il y a eu une super entente. Avec l’équipe du Time, nous avions eu une discussion en amont. J’avais envie de les mettre en hauteur, de les regarder d’en bas. On voulait les prendre au sérieux, les voir bien habillés. Tout prenait son sens. Au fur et à mesure, je me suis rendue compte de l’impact que ça aurait.

Une autre couverture du Time a eu un gros retentissement, celle avec Simu Liu, l’acteur qui joue Shang-chi, le super héros de Marvel.
Pour lui, je savais dès le début ce que ça représentait. Je me souviens exactement de la sortie en France de Shang-chi car je n’avais personne avec qui aller voir le film. À Londres, mes amis asiatiques sont allés le voir ensemble. C’était la première fois qu’on avait un super héros qui nous ressemblait et je n’ai pas pu partager cette excitation avec mes amis. J’en étais très triste. Lorsque l’éditrice du Time en charge de la photographie m’a proposé cette couverture, c’était très excitant pour moi. Simu Liu est très accessible. Il est arrivé en short, tout simple. Je pense que c’est la personne avec laquelle j’ai eu le plus de temps de discuter autour du shooting. J'ai pu lui dire ce que Shang-chi représentait pour moi.

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