Jouant des tensions et porosités entre le métal, (la forge) et le textile (patchwork), elle envisage l’espace de l’atelier comme un paysage intérieur en devenir.
Diplômée avec les Félicitations du Jury des Beaux-Arts de Paris, DNSAP, en septembre 2022, Pauline -Rose Dumas que j’avais déjà repérée à l’occasion de l’exposition collective Crush, expose le résultat de 3 mois de résidence à la Cité des arts dans le cadre du programme de développement des artistes de la Banque Européenne d’Investissement. L’opportunité pour l’artiste de dresser un premier bilan de parcours en bénéficiant d’un atelier, d’une aide à la production et de l’acquisition d’œuvres dans la collection de la BEI. Jouant des tensions et porosités entre le métal, (la forge) et le textile (patchwork), elle envisage l’espace de l’atelier comme un paysage intérieur en devenir.
A partir de matrices de dessins imprimées et sublimées sur tissus, fragments de métal fondu, chutes de tissus réemployés et cousus entre eux, ces multiples strates dessinent un monde flottant où la matière première oscille entre sculpture et retour à la poussière. Un cycle de vie et de création aux confins de l’artisanat, de la photographie et de l’installation. Paulien Rose Dumas revient sur ses années d’apprentissage en Angleterre (Chelsea College of Art), son expérience de 6 mois au Berlin Art Institute et ses années complémentaires à Paris dans l’atelier de Tatiana Trouvé et la forge des BeauxArts. Elle a répondu à mes questions
La résidence à la Cité des arts : origines et élément déclencheur ?
J’ai répondu à un appel à projets pour une résidence de 3 mois à la Cité des arts, soutenue par la Banque Européenne d’Investissement (BEI) dans le cadre du programme de développement des artistes (ADP) et soutien à l’émergence. Plusieurs thèmes étaient proposés et j’ai choisi de répondre à celui autour de l’Anthropocène intitulé « Disruption : the Imprint of Man ». Le thème étant très large j’ai voulu m’intéresser à son aspect géologique en reliant les différentes pratiques de mon travail développées en Angleterre, en Allemagne et aux Beaux-Arts de Paris, d’une part le travail du fer et de la forge, technique née de l’énergie du feu ayant pris son essor au XIXème siècle au cours des grandes révolutions industrielles et d’autre part, le travail du textile, à l’origine de mon entrée dans le monde de l’art et notamment du patchwork, technique assez ancienne proche de l’ornement, du domestique. C’est ce mélange de ces paradoxes, ces différentes strates et époques qui m’ont conduit à répondre à cette problématique.
Comment se définit votre pratique ?
J’ai une formation de design textile au départ au Chelsea College of Art, un matériau toujours proche de moi que j’ai commencé à prélever dans l’atelier, proche de la main, de la peau, qui lié à quelque chose de très humain. Lors de mon travail de fin d’études à Londres (Bachelor, Chelsea College of Arts), j’ai laissé intuitivement toutes les aiguilles et épingles dans mes échantillons, envisageant le textile comme un matériau vivant, pour ouvrir des possibles et m’éloignant déjà du monde du design. Ensuite à Berlin j’ai utilisé des aiguilles de plus en plus grosse jusqu’à me rapprocher de la forme du clou. A mon arrivée aux Beaux-Arts pour mon Master dans l’atelier de Tatiana Trouvé, dédié à la sculpture et à l’installation, je suis revenue à ce premier lien avec cette autre matière que le textile par le biais d’une formation dans la forge des Beaux-Arts.
L’exposition à la Cité des Arts : quels enjeux ? quels partis pris scénographiques ?
Ce qui était intéressant pour moi était d’exposer dans l’espace de l’atelier. Un espace qui infuse les œuvres, que j’appréhende comme un paysage quasi organique où les choses se sédimentent, changent… De plus cette exposition Matter of Present répondait à l’exposition de mon diplôme de DNSAP -Beaux-Arts (avec félicitations du jury ndlr) intitulée Table des matières. L’atelier de la Cité des arts situé sur deux niveaux avec de très grandes fenêtres que j’ai voulu flouter à partir de grands panneaux de tissus. Ces panneaux sont créés à partir de photographies travaillés en patchwork. Des outils forgés sont suspendus devant comme la réminiscence de la main, du processus, de la matrice. Des superpositions omniprésentes dans le travail, chaque strate révélant une nouvelle histoire. Toutes les chutes par terre renvoient à d’autres sculptures. Les outils au mur dessinent comme un alphabet de formes, leurs ombres aussi là ou l’outil a disparu. L’œuvre Between Lines est la synthèse parfaite de mon processus, presque comme une cartographie mentale, avec cette confrontation radicale entre le métal, résistant et le papier, a contrario périssable.
Quel regard portez-vous sur ces années aux Beaux-Arts : quel bilan en comparaison avec l’enseignement anglo-saxon et votre expérience en Allemagne ?
En Angleterre ce qui est positif est l’approche, basée essentiellement sur l’expérimentation, rien n’est défini à l’avance. Je me suis spécialisée en impression textile et en teinture, naturelle et végétale, une dimension que j’expose à la Cité des arts. A Berlin je disposais de mon propre atelier, ce qui était une vraie opportunité de faire le point et j’ai commencé à regarder et confronter les différentes formes, outils, chutes de tissus, codes en métal…dans une approche libre et autodidacte. Etre admise aux Beaux-Arts m’a permis de réintégrer le système et l’apprentissage et à mon arrivée dans l’atelier de Tatiana Trouvé j’ai confronté mon appréhension des matériaux pensée lors des 6 mois passés en Allemagne avec une approche de la sculpture et de l’installation. Les Beaux-Arts est une école qui nous pousse à aller vraiment vers notre singularité à partir d’approches très différentes
Comment s’est traduite l’aide de la Banque Européenne d’Investissement ?
L’aide consiste à la mise à disposition de l’atelier pendant 3 mois, une aide à la production (Between Lines) et l’acquisition d’œuvres qui intègrent leur collection. Disposer d’un atelier au centre de Paris, dès la sortie des Beaux-Arts a été très profitable en termes de visibilité et de rencontres. Cela m’a permis de plus, de rester concentrée et ne pas avoir à affronter toutes sortes de questions logistiques et administratives.
Qu’est-ce qu’être artiste aujourd’hui selon vous ?
Cette question rejoint la notion très présente dans mon travail de la trace. En tant que jeune artiste je me pose beaucoup cette question au jour d’aujourd’hui mais aussi de demain : Qu’est-ce qu’on laisse derrière nous ? C’est aussi pour cela que l’intitulé de l’appel à projet de la résidence m’avait interpellé autour de l’empreinte de l’homme. Comme de nombreux artistes nous nous demandons si notre art va nous survivre ou pas et que va-t-il en rester ? Cela rejoint un questionnement très intéressant autour des traces laissées par les peuples primitifs, les anthropologues et archéologues travaillant à partir d’empreintes laissées dans la terre, fossiles, mais aussi parures et textiles portés à même la peau, qui, même s’ils ont disparu, laissaient des traces que l’on peut retrouver à travers par exemple les tressages, vanneries. J’aimais bien pour répondre à cette question établir un lien entre un ancêtre si lointain à partir d’une simple trace dont il ne reste presque rien. Si l’on revient aux matériaux que j’utilise à une échelle plus humaine de l’ordre de 300 ans environ, comme le métal il finit par se détériorer et disparaître, à la différence du bronze. Comment en retrouver la trace ?
Comment vous projetez-vous ?
Je souhaite vraiment trouver un atelier dans lequel continuer à créer et j’ai plusieurs pistes même si je trouve intéressant aussi d’être assez nomade pour une jeune artiste, savoir s’adapter rapidement. J’envisage d’autres façons d’aborder mon processus de création, pour déplacer la pensée de mon travail à partir de techniques alternatives liées à des artisans (broderie, verre..). J’ai plusieurs projets à l’international que j’aimerais développer.