Les jumelles Park Chae Dalle et Park Chae Biole, artistes de la poésie et de la légèreté

Délicates, textiles, textuelles, leurs pratiques résonnent, dialoguent et s’entrelacent. Si les sœurs jumelles, Park Chae Dalle et Park Chae Biole, ont grandi ensemble en Corée avant de faire la même école d’art en France, elles cultivent chacune leurs pr
Maïlys Celeux-Lanval, Beaux-Arts Magazine, 29 January 2024
Park Chae Dalle et Park Chae Biole (nées en 1997) ne travaillent pas en duo… Pourtant, c’est bel et bien à deux qu’elles nous ont intéressés, présentées par la jeune galerie Anne-Laure Buffard lors des deux dernières éditions de la foire Asia Now.

 

Délicates, textiles, textuelles, leurs pratiques résonnent, dialoguent et s’entrelacent même si elles diffèrent, même si leurs autrices ne travaillent pas dans le même atelier, ni ne partagent tous leurs projets. Les jumelles ne forment donc pas un artiste à deux têtes, mais bien deux personnalités qui méritent la même attention.

 

Une enfance faite de cours à la maison et de « contacts avec la nature »

 

C’est à leur père qu’elles doivent leur parcours au « contact avec la nature », 2023

Elles sont nées à Bourg-La-Reine mais ont grandi en Corée jusqu’à leur dix-septième année. Leur père, attentionné, anticonformiste aussi, ne les a pas inscrites à l’école. « Trop stricte, trop compétitive, pas du tout variée », nous expliquent-elles, du moins aux yeux de parents « pas artistes mais artistiques ». C’est à lui qu’elles doivent leur parcours si spécial, fait de cours à la maison et de « contacts avec la nature », la mer comme la montagne. Il leur a appris plusieurs langues (dont le français, l’anglais et l’espagnol), les a laissées libre d’expérimenter toutes sortes de disciplines créatives et d’apprendre le violon, le piano et le violoncelle.

 

Libres mais sérieuses, bosseuses, les jumelles réussissent à passer l’équivalent du baccalauréat coréen en avance, à 14 ans, avant de partir en voyage six mois en Europe en famille. « C’est à ce moment-là, en discutant à l’arrière de la voiture, qu’on a considéré que l’art pouvait devenir notre métier. On a toutes les deux pleuré au moment où on l’a verbalisé. » À Séoul, elles s’inscrivent dans une classe préparatoire aux écoles d’art françaises, et obtiennent toutes les deux celle de Cergy — l’une des plus exigeantes et originales de France. C’est ainsi qu’elles s’installent en France à 17 ans, toutes heureuses de cette indépendance, et du hasard qui ne les a pas séparées.

 

Durant les cinq années que dure l’apprentissage, elles tâchent toutefois de se distinguer l’une de l’autre. « On faisait exprès de ne pas travailler ensemble. » Une fois le diplôme obtenu, Dalle s’engage dans un master de création littéraire, à l’enseignement « très expérimental, mais pas assez pour moi », au sein de l’Université du Havre, afin de creuser le sillon poétique qui l’habite depuis quelques années. La question de la traduction passionne la polyglotte — qui nous montre d’ailleurs, le jour de notre rencontre, quelques petits recueils écrits à la fois en coréen, en français et en anglais, qu’elle imprime chez elle et auto-publie une fois par mois avec son partenaire Wonwoo Kim.

En 2020, Biole se tourne, quant à elle, vers la théorie en s’inscrivant à l’Université Paris 8, au sein du très sérieux master Art contemporain et sciences humaines. « Ça a été une expérience intéressante, académique, mais j’étais tiraillée entre mes projets d’expositions et de résidences… » Résultat, un mémoire de cent pages plus tard, Biole confirme et signe, renonce au doctorat pour retourner vers l’excitation de la pratique artistique. C’est d’ailleurs cette année-là, en 2022, qu’Anne-Laure Buffard – venue de la prestigieuse galerie Nathalie Obadia – les repère et leur propose de les représenter, lançant avec elles sa propre galerie d’art.

 

« Les battements fous des ailes des petites choses »

Voilà pour le CV, impressionnant tant ces jeunes artistes ont aimé apprendre, et de toutes les façons possibles, tout en développant très tôt leur patte artistique. Elles dessinent et peignent « depuis toujours », disent-elles, autrement dit depuis qu’elles ont deux ou trois ans.

 

À vingt-et-un ans, taraudée par la question du temps, Dalle s’est, pour sa part, « rendue compte qu’[elle avait] besoin de créer selon des processus plus longs » ; elle a alors eu l’idée de peindre sur des tricots préparés avec de la colle d’amidon, pour créer de petites œuvres textiles qu’elle assemble et réassemble au sein d’installations qui changent constamment d’apparence (Hand to hand, 2023). « Je mélange les œuvres récentes et anciennes, pour qu’il y ait différentes temporalités au sein d’une même installation. » Elle crée aussi son propre papier à partir de feuilles d’arbres (Dead Leaves, 2023). Ses motifs : des moments fugaces de beauté, capturés dans son quotidien et volontiers énigmatiques. « Les battements fous des ailes des petites choses », nous dit l’un de ses poèmes.

Biole s’est, elle aussi, intéressée au support textile, mais pas pour les mêmes raisons. Car si Dalle s’attache au temps et à sa perception, Biole se questionne sur le poids des choses, et sur leur mobilité. Elle nous le confie avec sobriété : leur mère a connu la douleur de la poliomyélite (comme Frida Kahlo, d’ailleurs Biole a écrit un texte à ce sujet) et ne peut désormais se mouvoir comme elle le souhaite.

C’est pourquoi elle a commencé il y a quelques années à alléger ses sculptures, à concevoir des « déambulateurs »tout en finesse (The Walker, 2021), à créer de petites maquettes plutôt que de vastes environnements (Collection de pierres, 2023). Souvent en voyage, elle peint les paysages entrevus sur des stores en bambou, qu’elle peut très facilement enrouler et déplacer (Blind Series, 2019–2022). « Je veux pouvoir apporter mes œuvres aux gens », et ainsi renverser les habitudes voulant qu’il faut venir jusqu’au musée pour voir de l’art.

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